Le style d'apprentissage: un enjeu pédagogique en lien avec la personnalité
Selon Kolb (1984), l'apprentissage expérientiel, conçu comme «le processus par lequel la transformation de l'expérience génère
la connaissance», (p. 38) comporte quatre phases, chacune constituant une étape essentielle : l'expérience concrète,
l'observation réfléchie, la conceptualisation abstraite et l'expérimentation active. Chaque phase suppose des habiletés particulières :
- l'expérience concrète, la capacité de s'impliquer dans une expérience;
- l'observation réfléchie, la capacité de réfléchir sur l'expérience à partir de divers points de vue;
- la conceptualisation abstraite, la capacité de créer des concepts, d'élaborer des modèles pour intégrer les
observations;
- et l'expérimentation active, la capacité d'utiliser les théories pour prendre des décisions et résoudre des
problèmes.
En cherchant à expliciter les conduites cognitives, c'est-à-dire les comportements de traitement de l'information
nécessaires à la réussite de chacune des phases du processus d'apprentissage, Chevrier et Charbonneau (1991) ont mis en lumière les différents volets du processus d'apprentissage propres à chaque étape. Selon ces auteurs,
l'expérience concrète présuppose :
- que le sujet agisse, qu'il fasse quelque chose de concret, qu'il soit actif physiquement et cognitivement;
- qu'il maintienne, par une attention soutenue, son contact avec la situation durant toute l'expérience;
- qu'il utilise ses sens pour cueillir l'information;
- qu'il se permette de vivre les sentiments et les émotions en lien avec son expérience;
- et qu'il garde en mémoire ses perceptions de l'expérience.
Les auteurs soulignent qu'à la phase d'observation réfléchie le sujet joue le rôle d'observateur de son expérience,
ce qui présuppose qu'il peut arrêter le flot du vécu et se détacher sur le plan affectif de l'expérience ; il analyse
celle-ci et en reconstruit la structure événementielle ; il étend ses observations à d'autres expériences et en identifie
les ressemblances et différences.
À la phase de conceptualisation abstraite, le sujet approfondit sa réflexion. Il y parvient quand il abstrait
ou dégage certains éléments d'un ensemble de données, quand il interprète ou explique un phénomène, quand il examine les rapports
de ressemblance et de différence entre les conceptualisations (Chevrier et Charbonneau, 1991).
Finalement, on peut rattacher à la phase d'expérimentation active les conduites cognitives suivantes :
- la formulation d'une hypothèse ou d'une implication pratique;
- la planification de l'expérience en vue de la vérifier;
- l'anticipation des résultats et l'établissement des critères de vérification;
- la «provocation» de l'expérience;
- l'observation des conséquences;
- la confirmation ou l'infirmation de l'hypothèse ou son implication pratique (Chevrier et Charbonneau, 1991).
Chaque phase, selon Kolb (1984), constitue un mode d'apprentissage particulier ou une manière différente de faire l'expérience de la réalité.
Puisque le processus d'apprentissage comporte quatre phases, il existe quatre modes différents d'apprendre. C'est ainsi que
sous l'influence de différents facteurs comme les expériences passées et les exigences de l'environnement, les gens auront
tendance à privilégier l'un ou l'autre des modes d'apprentissage (Kolb, 1984), ce qui va constituer leur style d'apprentissage.
Il existe au moins deux modèles de style d'apprentissage basés sur le modèle d'apprentissage expérientiel. D'une part, il
y a celui de Kolb et, d'autre part, celui de Honey et Mumford (1986, 1992). Nous allons examiner ces deux modèles et expliquer notre choix de l'un d'eux.
Pour Kolb (1984), les quatre modes s'articulent selon deux dimensions bipolaires, concret-abstrait et actif-réflexif, chacune
impliquant une tension, une opposition entre ces deux pôles : le pôle concret (l'immersion dans l'expérience concrète)
versus le pôle abstrait (la conceptualisation abstraite), le pôle réflexif (la réflexion sur l'expérience) versus le pôle
actif (l'expérimentation active). Le style d'apprentissage est la résultante de ce choix privilégié de l'un des deux pôles
sur chacune des deux dimensions. Ainsi, théoriquement, les quatre pôles, pris deux à deux, peuvent définir quatre styles d'apprentissage
possibles : convergent, divergent, assimilateur et accommodateur. La personne de style convergent (abstrait/actif) fait
appel à la conceptualisation abstraite et à l'expérimentation active. La personne de style divergent (concret/réflexif), privilégie
l'expérience concrète et l'observation réfléchie. La personne de style assimilateur (réflexif/abstrait) a tendance à recourir
à l'observation réfléchie et à l'abstraction conceptuelle. La personne de style accommodateur (actif/concret) privilégie l'expérimentation
active et l'expérience concrète.
La présence de deux facteurs bipolaires anticipés par Kolb (1984) ne semble toutefois pas confirmée par les recherches. Selon Ruble et Stout (1990), les quatre modes d'apprentissage semblent être des construits relativement indépendants plutôt qu'opposés de
manière bipolaire. Cornwell, Manfredo et Dunlap (1991) ainsi que Cornwell et Manfredo (1994) mettent en question la validité du concept de dimensions bipolaires, prônant davantage un modèle à quatre facteurs.
Fortin, Chevrier et Amyot (1998) abondent dans le même sens que les études précédentes. Selon eux, le modèle à quatre facteurs correspondant
au modèle théorique de Honey et Mumford (1986, 1992) apparaît le modèle le plus adéquat.
Tout en adoptant l'idée de Kolb d'un modèle d'apprentissage expérientiel en quatre phases, Honey et Mumford (1992) ne postulent aucune dimension bipolaire sous-jacente. Le style d'apprentissage est conçu comme une tendance
à privilégier de manière différenciée les comportements et les attitudes propres à chacune des phases d'apprentissage (Mumford et Honey, 1992). Les quatre styles d'apprentissage, correspondant respectivement aux quatre phases du processus d'apprentissage
expérientiel, sont l'actif, le réfléchi, le théoricien et le pragmatique.
Honey et Mumford (1986, 1992) ont décrit les quatre styles de base, ainsi que le contexte d'apprentissage qui leur est propre. Ce qui caractérise
la personne qui privilégie le mode actif est son esprit ouvert, son enthousiasme pour tout ce qui est nouveau, son goût pour
le travail en équipe ; la personne qui a une préférence marquée pour le mode réfléchi se signale par son recul par rapport
aux personnes et aux choses, par son besoin d'écouter et de prendre une distance ; la personne qui a un profil d'apprentissage
théoricien est celle qui aime pousser plus loin la réflexion; elle se plaît à analyser, synthétiser, expliquer, suivre une
démarche logique ; la personne avec un profil pragmatique s'intéresse à l'application pratique et à la vérification des
idées et des théories (1).
Comme il est possible de développer une forte préférence pour plus d'un style, une personne peut ainsi présenter
un style à deux, trois ou quatre modes. C'est donc ce modèle de style d'apprentissage que nous avons choisi de retenir.
Quant aux douze messages inhibiteurs que nous avons présentés plus haut, nous pourrions chercher à montrer
leur incidence respective sur le processus d'apprentissage que nous avons décrit. Comme illustration, nous en retiendrons
seulement quatre pour expliciter la relation avec les quatre phases du processus d'apprentissage. Il s'agit des messages suivants:
ne fais pas confiance, ne pense pas, ne ressens pas, n'agis pas. Partant de ces messages, nous
tenterons de faire valoir qu'ils prédisposent l'apprenant quant à sa manière d'apprendre, et, par le fait même, l'incitent
à privilégier ou négliger certains modes d'apprentissage.
Les messages incitant à ne pas faire confiance (ne fais pas confiance), à se méfier du milieu sont
de nature à bloquer l'exploration et la poursuite de la découverte ainsi que toute forme d'expression personnelle spontanée
(voir Tableau 1). La non-confiance entraîne une attitude de fermeture ou de fuite face à ce qui est nouveau ou inconnu, ce qui
limite la possibilité de faire de nouvelles expériences. La proximité étant perçue comme une menace, l'intimité devient impossible.
Les relations sont constamment remises en question. Une telle attitude de méfiance peut avoir comme conséquence l'escamotage
de la phase expérience concrète diminuant ainsi de beaucoup les possibilités de construction d'un mode de fonctionnement actif.
Bloquer la pensée et la réflexion (ne pense pas, ne réfléchis pas) risque de compromettre l'attitude
critique dans les observations, de gêner l'analyse et la réflexion sur l'expérience. En con-sidérant comme inutiles la réflexion
et l'approche théorique, on aura tendance à négliger ou encore à s'attarder très peu aux phases d'observation réfléchie et
de conceptualisation abstraite (voir Tableau 1). Dans ces circonstances, le développement d'un mode de fonctionnement
réfléchi ou théoricien est peu probable.
TABLEAU 1 - Messages permissifs et inhibiteurs influençant la façon d'apprendre
Messages |
Phases d'apprentissage concernées par les messages |
permissifs |
inhibiteurs ou prescriptifs |
permissifs |
inhibiteurs |
Injonctions |
Contre-injonctions |
Fais confiance, sois proche des autres; |
Ne fais pas confiance, ne sois pas proche; |
Sois prudent, le monde est dangereux; |
EC+ |
EC- OR++ |
Sens; exprime tes sensations, tes sentiments; |
Ne ressens pas, n'exprime pas tes sentiments; |
Sois rationnel, réfléchi; |
EC+ |
EC- CA++ OR++ |
Pense, réfléchis, questionne; |
Ne pense pas, ne réfléchis pas; |
Sois d'accord, laisse l'autre penser à ta place; |
OR+ CA+ |
OR- CA- |
Agis, va de l'avant. |
N'agis pas. |
Sois parfait; sois réfléchi. |
EA+ |
EA- OR++ |
- 1.
- Les sigles EC, OR, CA et EA renvoient aux quatre phases du processus d'apprentissage. EC
correspond à «expérience concrète»; OR, à «observation réfléchie»; CA, à «conceptualisation
abstraite»; EA , à «expérimentation active». Le signe positif simple (+) signifie l'exploitation
appropriée d'une phase; le signe positif double (++) signifie la sur-exploitation d'une phase au détriment d'une
autre, c'est-à-dire de celle désignée par un signe négatif (-).
L'élimination des intuitions et de la sensibilité (ne ressens pas, sois rationnel), diminue largement
la possibilité de produire de l'original, de l'inattendu, du différent au profit de l'activité rationnelle, entraînant ainsi
une sur-spécialisation dans la phase de conceptualisation abstraite au détriment de l'expérience concrète (voir Tableau
1). Une telle spécialisation peut être à l'origine d'une préférence marquée pour le mode théoricien au profit du
mode actif.
Brimer l'action (n'agis pas), arrêter les projets et les expériences, risque de supprimer du même coup
le recul critique de l'expérimentation active (voir Tableau 1) et ainsi créer une aversion pour le mode pragmatique
tout en suscitant un intérêt poussé pour le mode réfléchi.
À l'inverse, les messages permissifs et positifs (fais confiance, pense, ressens, agis) sont de nature
à faciliter les apprentissages et à favoriser l'acquisition d'un style d'apprentissage à plusieurs facettes (voir Tableau
1).
Ces exemples illustrent la façon dont les facteurs de construction de la personnalité peuvent avoir des incidences
sur le processus d'apprentissage en incitant l'adoption des conduites cognitives qui mènent au choix dominant d'une phase
d'apprentissage au détriment d'une autre (voir Tableau 1). En d'autres mots, le choix privilégié de certains
modes d'apprentissage est lié aux messages qui ont modelé la structure de la personnalité de l'apprenant.
La modification du style d'apprentissage peut être envisagée selon deux approches distinctes. L'une, plus
psychologique, s'efforce de changer les messages injonctifs en incitant à de nouvelles décisions qui, inévitablement, affecteront
aussi la manière d'apprendre ; l'autre, plus éducative, porte directement sur la mise en oeuvre des conduites cognitives
sous-jacentes aux phases d'apprentissage.
Selon Goulding (1972), deux facteurs peuvent influencer l'adhésion ou la non-adhésion au message injonctif : l'appui que le second
parent manifeste à l'enfant et le degré de maturité émotive de celui-ci. Si l'un des parents ne souscrit pas au message injonctif
ou si l'enfant ne dépend pas entièrement de ses parents pour sa survie psychologique, l'injonction risque d'avoir peu d'emprise.
Malheureusement, comme le message injonctif est souvent accompagné de marques d'affection (il est présenté comme une condition
pour être aimé), il exerce un attrait tel qu'il est difficile d'y résister (Goulding, 1972). Pourtant, la personne ne demeure pas pour autant condamnée à vivre irrémédiablement sous le joug de l'injonction.
Dès lors qu'elle en vient à prendre des décisions qui peuvent être lourdes de conséquence pour son développement futur, elle
peut également en prendre de nouvelles touchant sa façon de penser, de ressentir et d'agir. Prenant conscience de ce qui ne
va pas dans sa vie (ses blocages), elle peut vouloir changer ce qui va à l'encontre de son bon fonctionnement.
Goulding et Goulding (1979) proposent un modèle de thérapie, appelé «redécision», qui a pour but principal d'examiner les décisions prises
par la personne en bas âge afin de les modifier. Cette approche intègre à la fois les éléments de l'analyse transactionnelle
et ceux du courant gestaltiste.
On peut résumer ainsi les principales étapes conduisant à une redécision (Goulding, 1972, 1985; Goulding et Goulding, 1979):
-
Le sujet est invité à rejouer une scène problématique récente afin de réactiver les sentiments, les pensées
et les comportements dysfonctionnels.
-
Ensuite, on lui demande de rejouer la scène primitive où il a éprouvé pour la première fois ses sentiments
et ses pensées. Cela dans le but de prendre conscience de la décision prise à ce moment-là et de confronter le Parent (en
imagination).
-
En prenant conscience des modes de fonctionnement intégrés et de la décision qui les sous-tend, le sujet est
alors en mesure de prendre une nouvelle décision qui le mènera à l'adoption de nouveaux comportements. L'efficacité de la
nouvelle décision dépend dans une très large mesure du degré de coopération et de satisfaction de l'Enfant.
La modification du scénario de vie entraîne des ramifications dans la façon d'apprendre. En se donnant des
permissions nouvelles, constructives, le sujet s'ouvre à d'autres façons de vivre la réalité. Se percevant et percevant le
monde différemment, il révisera ses attitudes et ses comportements pour finalement en adopter de nouveaux qui vont s'étendre
à la situation d'apprentissage.
Cette voie proposée par Goulding (1972, 1985) ne peut s'exercer dans le milieu éducationnel traditionnel : la situation de classe ne s'y prête pas. Toutefois,
elle a le mérite d'attirer l'attention sur les enjeux affectifs liés à la situation d'apprentissage, enjeux qui sont souvent
méconnus par l'éducateur.
Il existe une autre approche, éducative, axée plus directement sur les comportements d'apprentissage de l'apprenant
et susceptible d'être mise en oeuvre en salle de classe. À l'instar de l'approche psychologique, elle peut non seulement mener
à des changements dans la façon d'apprendre, mais aussi, possiblement, à des changements dans la structure même de la personnalité.
Cette approche consiste, par le biais d'interventions appropriées, à tenter d'activer de nouvelles conduites cognitives, c'est-à-dire
celles que l'apprenant a tendance à escamoter. Son utilisation présuppose un certain nombre de conditions :
-
que l'enseignant soit familier avec le modèle d'apprentissage expérientiel, ses phases et ses conduites cognitives
sous-jacentes;
-
qu'il connaisse également les rudiments de l'analyse transactionnelle pour pouvoir mieux saisir les forces
qui tendent à immobiliser l'apprenant, à le figer dans des modes d'apprentissage;
-
qu'il se connaisse bien lui-même comme apprenant afin de pouvoir adopter des stratégies qui répondent bien
aux besoins de ceux qui sont en situation d'apprentissage ; autrement il risque de se confiner à faire apprendre comme
il apprend sans plus;
-
qu'il identifie bien les conduites cognitives à mettre en branle chez l'apprenant. Pour ce faire, l'identification
du style d'apprentissage est nécessaire. Le «Learning Styles Questionnaire» (LSQ) de Honey et Mumford (1986), traduit et adapté en français par Fortin, Chevrier et Amyott (1998) est un outil qui permet de répondre à cette exigence (2);
-
qu'il élabore une stratégie d'intervention pour répondre aux objectifs fixés. Cette stratégie peut s'élaborer
avec l'apprenant en s'assurant que ce dernier y souscrit pleinement. L'entente ne saurait être entérinée sans que l'apprenant
ne soit motivé à modifier sa façon d'apprendre. À ce point de vue, l'expérience des limites de son style d'apprentissage peut
constituer une source de motivation importante;
-
qu'il sache apporter adéquatement son soutien à l'effort de l'apprenant pour renforcer l'utilisation de ces
mêmes conduites cognitives qu'il veut inculquer. Ceci ne signifie pas pour autant que l'apprenant ne résistera pas à changer,
qu'il ne tentera pas de saboter sa démarche si celle-ci ne se déroule pas telle que prévue ou encore si elle lui demande des
efforts accrus, qu'il ne vivra pas des peurs paralysantes qui l'inciteront à tout remettre en question. L'enseignant doit
apprendre à transiger avec les peurs et les résistances de l'apprenant et ne pas les considérer comme un affront personnel,
mais bien comme une difficulté personnelle de l'apprenant à changer.
L'apprenant qui s'engage peu dans les expériences nouvelles a du monde une vision plutôt menaçante. Le monde
étant perçu comme dangereux, il redoute la critique des gens, l'humiliation, le rejet. Dans son esprit, les moindres erreurs
peuvent entraîner les pires réprimandes. Il éprouve beaucoup de difficultés à faire confiance, ce qui l'empêche d'entreprendre
du nouveau, de l'inédit. Il ne fait pas beaucoup de place aux différences individuelles, les considérant comme menaçantes.
Pour aider cet apprenant, il importe de créer tout d'abord un bon climat de confiance et d'échelonner les expériences d'apprentissage
selon sa capacité de gérer le stress résultant de son niveau d'implication. Par exemple, un tel étudiant pourrait être invité
à considérer les occasions d'apprentissage qui se présentent à lui. L'enseignant pourrait même lui en suggérer: entamer des
conversations en groupe; se porter volontaire pour des présentations; briser la routine en variant les activités (Honey et Mumford, 1986). En salle de classe, il pourrait chercher à l'impliquer en lui proposant de partager une idée, un sentiment,
un point de vue ; il pourrait valoriser ses moindres ouvertures (j'apprécie que tu donnes ton point de vue sur ce
sujet) et souligner sa participation aux activités, si brèves soient-elles. Dans ses rapports plus étroits avec l'apprenant,
il pourrait l'inviter à considérer ses progrès et couper court à ses comparaisons aux autres. Le déploiement de telles attitudes
et de tels comportements pourrait contribuer à faire naître cet attrait pour les expériences nouvelles et permettre à l'apprenant
de confronter ses croyances fondamentales.
En ce qui concerne celui qui est porté à escamoter la phase observation réfléchie, l'enseignant pourrait planifier
des interventions de manière à lui permettre d'observer, de réfléchir, de prendre du recul par rapport à l'activité. Il pourrait
lui donner le temps de recueillir l'information, de revoir ce qui est arrivé, d'en discuter. Il pourrait souligner l'importance
de recueillir des données, de bien se préparer, de prendre du recul avant de passer à l'action. Valoriser la perspicacité
de l'apprenant, son sens de l'observation et de la planification sont quelques-unes des attitudes dont peut faire preuve l'enseignant.
La personne qui s'attarde peu à la conceptualisation (ne pense pas, ne réfléchis pas) se perçoit
habituellement comme étant peu intelligente, voire même stupide. L'enseignant peut jouer un rôle de premier plan en l'encourageant
à comprendre des situations complexes, en l'interrogeant sur les liens qu'elle fait, sur les règles, les principes qu'elle
peut dégager. L'apprenant pourrait se voir donner la possibilité de mettre en question la logique, la méthodologie derrière
un raisonnement, de chercher les contradictions, les oppositions dans une argumentation, d'identifier et d'analyser les raisons
fournies. Souligner la pertinence de sa lecture des faits, lui faire part combien elle est articulée, nuancée, intelligente,
croire qu'elle possède de telles ressources bien qu'elle y fasse peu appel ne sont que quelques exemples d'interventions qui
peuvent renforcer les comportements d'apprentissage désirés et voire même produire des changements dans l'image de soi.
La personne qui évite de passer à l'action (n'agis pas), d'expérimenter, éprouve une anxiété telle
qu'elle ne peut réaliser son projet. À la pensée de déplaire ou de faire face à un échec, elle s'immobilise. Elle peut avoir
la conviction qu'elle doit être parfaite pour être aimée, qu'elle ne peut en aucune manière faire des erreurs ou se tromper,
qu'elle doit en faire plus que ce qui est exigé. Lui rappeler clairement les attentes par rapport à l'activité, l'aider à
être réaliste envers elle et moins exigeante, à comprendre l'écart existant entre ses attentes et ce qui est demandé, l'encourager
à réfléchir sur les applications de ce qu'elle a appris, sur les avantages d'implanter tel ou tel plan d'action sont quelques-uns
des moyens pour inciter à l'action.
Le rôle de l'éducateur consiste, au fond, à contrer les messages négatifs antérieurement transmis en donnant
des permissions nouvelles qui vont dans la ligne du développement de l'apprenant : «il est normal que tu explores le
monde, que tu découvres, que tu expérimentes» ; «tu peux réfléchir avant d'adopter une manière de faire» ; «tu peux
penser par toi-même», etc. En étant conscient des enjeux de l'apprenant et de ses blocages dans le processus d'apprentissage,
l'éducateur peut ainsi être plus en mesure d'intervenir de manière corrective, de façon à faciliter le passage à travers les
différentes phases du cycle d'apprentissage. Ce faisant, il aide l'apprenant non seulement à mieux apprendre, mais aussi à
mieux être et à mieux vivre.
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